Le téléphone a sonné vers 3 heures du matin. Manuéla dormait chez une amie. Je me lève et constate qu’un numéro de téléphone que je ne connais pas s’affiche. Je n’ai pas le temps de prendre la ligne, il s’agit peut être d’une erreur, c’est déjà arrivé. Soudain le portable de mon mari retentit c’est donc bien pour nous. Je lui demande de se lever afin de répondre pensant qu’il s’agissait peut être de mauvaises nouvelles concernant son père très malade. Là encore pas assez réactifs, nous n’avons pas le temps de répondre. Le téléphone fixe sonne à nouveau. Mon mari répond.
Un silence de quelques secondes suivi d’un hurlement, il jette l’appareil au sol et se met à crier comme une bête blessée. Je comprends alors qu’il ne s’agit pas de mon beau-père, car nous nous étions déjà préparés, mais je comprends qu’il s’agit tout de même de quelqu’un de très proche. Il crie toujours, il hurle et je ne comprends toujours pas, je le secoue, lui demande de qui il s’agit, je pense alors a Agnès, sa soeur dont il est très proche. Il crie le prénom de ma fille mais je ne comprends pas. Je le supplie de me dire de qui il s’agit : Léa ! Léa est morte ! Non ! Ce n’est pas vrai ce n’est pas possible !
A nouveau la sonnerie du téléphone retentit, le combiné du rez-de-chaussée était détruit sur le sol, je monte vite a l’étage pour décrocher. J’interroge : – Que se passe-t-il ? Une voix m’annonce le déces de ma fille Léa. – Ce n’est pas vrai, dites-moi que ce n’est pas vrai, pas mon bébé… – Je suis désolé Madame – Je répète inlassablement : ce n’est pas vrai, dites-moi que ce n’est pas vrai ! Cédric Javault tel qu’il s’est présenté, Directeur de Cousins d’Amérique, me dit que jamais il ne m’aurait appelée si cela n’avait pas été une certitude. Il dit qu’il est désolé, qu’il a lui-même une fille de 10 mois et que pour l’instant il n’a pas d’autres renseignements car il est en vacances à Clermond Ferrand, il me laisse ses coordonnées, je note et je raccroche. Je retourne vers mon mari, nous ne pouvions rester seuls ainsi. Il avait déja appelé sa soeur et mon beau-frère. Ils sont arrivés en temps record, en nous tenant au téléphone, en nous suppliant de ne pas faire de geste désespéré, de penser a Manuéla.
A peine arrivé, Minh mon beau-frere prend les choses en mains. Il nous faut des certitudes, il pourrait y avoir une erreur. Je l’entends téléphoner un peu partout en France, aux Etats Unis, au Consul, au Coronaire. Il n’y avait pas d’erreur le passeport correspondait. Léa, me disait toujours qu’elle était horrible sur son passeport alors, naïvement je pensais que peut être il pourrait y avoir une erreur. Le temps passe et Minh est toujours au téléphone, vers 6 heures mon ami Robert qui s’occupe du Comité d’Entreprise de l’Aéroport de Marseille Provence où je travaille m’appelle. Là, encore l’idée d’une erreur est de moins en moins crédible. Robert arrive rapidement à la maison, il avait été informé un peu avant moi. Que faire dans ces moments là ? Léa était la seule enfant décédée, cela m’a révoltée j’ose l’avouer. Il me dit que deux autres enfants sont grièvement blessés. Alors, je me demande pourquoi, pourquoi, ma fille ? Que s’est-il passé aux Etats Unis ? De quelle catastrophe s’agit-il ? Un carambolage ? Un attentat ? Que s’est-il passé pour que ma fille ait perdu la vie ? L’horreur atteint son comble lorsque Robert nous annonce qu’une autre jeune fille est décédée. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit d’Orane, l’amie dont Léa avait parlé à son pere. Une cellule de crise a été mise en place a l’Aéroport. Mon mari et moi-même, nous nous y sommes rendus accompagnés de notre famille et de nos amis. Nous étions anéantis. Et puis il a fallu prévenir mon frère. Et comment faire pour mes parents ? Mes beaux-parents ? Et ma fille Manuéla ! Que faut-il faire ? Comment annoncer à une enfant de 11 ans qu’elle ne verra plus jamais sa soeur, soeur qu’elle avait quotidiennement au téléphone malgré la distance et qui devait lui rapporter de nombreux vêtements « fashion » pour sa rentrée en 6ème. Oui, comment faire pour annoncer à tous nos proches que notre vie a basculé et qu’ils allaient eux aussi nous rejoindre dans cette horreur qu’est la mort d’une enfant de 17 ans.
La cellule de crise me semble complètement en décalage avec la situation. Je reconnais certains directeurs, je serre la main à des gens que je ne connais pas et on me propose une bonne dizaine de fois de boire un peu et de me restaurer. Enfin, un représentant de Cousins d’Amérique se présente. Nous sommes autour d’une table, je vois des parents qui de toute évidence ne partageaient pas le même drame que moi. Ils n’ont compris que bien plus tard que notre enfant était décédée. J’entends une maman qui se réjouit à côté de moi, les blessures de son enfant ne sont pas mortelles. Je vois bien qu’elle ne sait pas que moi j’ai tout perdu. Et puis, je voudrais savoir pourquoi ? Que s’est-il passé ? Le responsable présent de Cousins d’Amérique reste dans le flou, il ne sait pas encore vraiment.
Il semblerait que le conducteur du van se soit endormi au volant mais ce n’est pas sûr, on ne sait pas vraiment. Pardon ? C’est tout ? Comment ça endormi au volant ? Pourquoi et à quelle heure ? Où est donc la catastrophe, l’attentat, les responsables, les tierces personnes qui ont provoqué cela ? Il semblerait, me répete-t-on, que le van soit sorti de la route sans raison ! Sans raison ! Non, il y a toujours une raison ! Comment mon enfant, comment ma fille que j’ai toujours voulu protéger de tout, peut-elle mourir dans cet accident si stupide ? Nous n’avons pas de réponse, le décalage horaire voyez-vous ! C’est difficile de savoir exactement ce qui s’est passé… on n’en sait pas plus pour l’instant. Par contre les démarches ont commencé immédiatement. Pierre REGIS le Directeur de l’Aéroport m’a traduit les documents officiels américains. Il fallait déjà choisir la société de pompes funèbres, le cimetière, déclarer notre état civil. Signer et re-signer des documents en anglais afin que les formalités soient faites, afin que le corps de mon enfant me revienne. On m’a immédiatement proposé de me rendre en Californie afin de me rapprocher de ma fille. J’ai immédiatement refusé, au risque de choquer certaines personnes, je ne voulais pas, je ne pouvais pas admettre de voir le corps abîmé voire mutilé de ma fille. Je ne voulais pas garder d’elle cette dernière image qui aurait effacé à tout jamais toutes les belles images que j’ai d’elle. Si simplement une seule lueur d’espoir avait subsistée de la savoir en vie, j’aurais été la première à la rejoindre et aurais sauté dans le premier avion pour les Etats Unis. Mais là, c’était pour moi impossible. J’ai immédiatement eu l’impression que l’esprit de Léa était déjà revenu vers moi, alors que je ne suis pas croyante. Mon beau-frère médecin me met immédiatement en contact avec une pédopsychiatre, qui me conseille d’informer Manuéla sur-le-champ afin qu’elle ne se sente pas exclue, et de ne surtout pas la tenir éloignée de notre chagrin. Nous partons donc pour cette terrible mission, mon mari et moi-même accompagnés d’Agnès ma belle-soeur, alors que Minh, mon beau-frère, et Lionel, mon frère partent de leur côté annoncer l’horrible nouvelle à ma mère. Manuéla était chez son amie Anaïs dont j’avais prévenu la maman. Le choc fut terrible, la réaction immédiate, les hurlements insoutenables… Je n’ai jamais voulu connaître la réaction de ma mère à l’annonce de la nouvelle, mon frère lui-même ne peut l’évoquer. De retour à la maison, Agnès et Minh partent prévenir mes beaux-parents qui, dès leur arrivée, ont compris car ils venaient de regarder les informations. Le monde s’est effondré pour les grands-parents qui venaient de perdre leur petite fille. Il a alors fallu prendre des décisions, bien sûr il n’était pas question que Léa reste seule en Californie. Mon mari devait s’y rendre avec sa soeur. Mais je savais que l’épreuve serait trop dure pour lui. Finalement ce sont Minh et Agnès qui sont allés la rejoindre. « Si tu le veux, je serai tes yeux, je serai tes mains, je lui dirai tes mots» me dit Agnès. Ces mots resteront gravés à jamais dans ma mémoire.
L’émotion est à son comble, on ne trouve pas les mots pour remercier un tel courage. Léa adorait Agnès, je lui disais toujours tu es la fille que tatie Agnès (qui a deux garçons) n’a jamais eue. Je sais que ma fille serait heureuse qu’Agnès me représente et accomplisse ce voyage, que je n’ai pas la force de faire. Rassurée de savoir que mon enfant ne sera pas seule, j’ai pu alors m’effondrer. Mon mari a assuré les démarches en France. J’ai attendu durant 11 jours, le retour de mon enfant, 11 jours de souffrance, de torture, incapable d’accepter l’inacceptable. 11 jours de calvaire, amorphe, assise ou allongée complètement anéantie…n’ayant qu’une seule exigence que le cercueil de mon enfant soit blanc, blanc comme l’innocence. Les appels en provenance des Etats-Unis étaient pour moi un véritable supplice.
Je laisse maintenant la parole à Agnès et Minh, qui mieux que personne pourront exprimer ce qu’est de retrouver un être cher, un être aimé et adoré