Nous t’avons attendu 11 jours


Nous t’avons attendu durant 11 jours. Agnès et Minh auprès de toi, recueillant des informations, des témoignages. Ils ont pris des photos, de tout, du van, de la route, de tout ce qui pourrait nous être précieux par la suite pour savoir, pour établir la vérité. Papa et moi t’avons attendue, je me suis écroulée, je n’ai pas pu affronter, je ne pouvais même pas voir une simple image de toi… j’avais mal, trop mal… Le corps d’une mère se révolte contre tout cela, le mien m’a lâché, je n’avais plus prise, je voulais me laisser partir… Ton père a tout assumé, présent pour moi, pour ta sœur, pour les grands-parents… en constante relation avec les états unis, il s’est occupé de toutes les démarches en France…

Et je ne te le cacherai pas mon amour, j’avais peur de ton retour. Je ne voulais pas voir ce cercueil blanc, je n’avais pas hâte que tu me reviennes car j’avais peur… peur est tout à fait le bon terme, peur d’être confrontée à cette réalité que je ne pouvais admettre. 11 jours durant lesquels de n’ai pas mangé, j’ai pleuré au point de ne plus avoir de larmes. On me disait que je n’aurais pas la force d’être là pour toi, pour ton dernier hommage, et que je risquais de le regretter toute ma vie. Mais je n’y pouvais rien, je t’attendais la peur au ventre, prostrée sur le canapé du salon. Je n’ai pas pu affronter ce dernier appel téléphonique, je n’ai pas pu te parler te sachant désormais sans vie, ton corps d’enfant froid. Pour une mère il est insupportable que son enfant ait froid, que son enfant ait eu mal, que son enfant soit figée à tout jamais, et ta voix ma chérie, ta voix toujours empreinte de joie, elle aussi s’en est allée.

Alors je n’ai pas pu te parler, je me suis dis que désormais je te parlerai tous les jours à tout instant et en effet il s’agit bien de cela, tu es en moi, et jamais tu ne me quittes. Et puis tu es revenue, ce mercredi 2 septembre, nous devions t’accueillir vers 14 h 00 à l’aéroport, mais là encore difficulté à cause de la taille du cercueil. Tu es donc revenue par la route et c’est vers 20 h 30 que la chambre funéraire nous a appelés pour nous informer que tu étais enfin là. J’avais peur mon amour, une peur terrible, ton père tremblait, j’étais persuadée que je ne supporterai pas, que j’allais finir hospitalisée cette nuit là. Mais il fallait que j’affronte, je ne pouvais décidément pas échapper à mon rôle de mère, tu étais enfin là dans ton pays, tout près de moi. Je savais que le cercueil serait fermé, je savais que tu m’attendais… alors je me suis levée, c’est tonton Lionel qui nous a menés. Papi et mamie étaient là eux aussi. Arrivés à la chambre funéraire, on nous indique que tu es dans la salle 1.

Un jeune homme nous conduit devant la porte et s’éclipse discrètement. « Je veux entrer la première » je me souviens avoir dit ces mots «je veux entrer la première car je suis sa mère ». Alors j’ai poussé doucement la porte, et là juste derrière, ton cercueil blanc, magnifique, très style américain «comme tu aurais dit » avec de petites fleurs roses ornées sur le côté. Je m’écroule sur ce cercueil que j’enserre dans mes bras, je ne te vois pas mais je te sens, ton père me rejoint, nous pleurons, nous parlons, papa a un malaise, papi et mamie s’occupent de lui pendant que je te parle, je te parle, en inondant ton cercueil blanc de toutes mes larmes. Je te dis que je t’aime, que tu es ma vie, que je serai toujours là pour toi, que tu as comblé notre vie, et parle, parle, parle sans m’arrêter…

Le cercueil n’est pas froid, je le serre contre moi, je me dis que tu es dedans, je le sais avec certitude parce que Minh et Agnès me l’on dit. Je n’ai pas de doute. Mon enfant m’est revenue, et là mon amour tu m’as insufflé ta force, ton courage… Je te fais une promesse, celle de dénoncer ta mise en danger, celles de tes amis, toi qui me connais si bien tu sais déjà que ta mère n’acceptera jamais, les conditions inacceptables de ta disparition… J’ai parlé pendant des heures, ton père a pris le relais pour te dire combien il est fier de toi, combien tu lui manques, combien nous étions conscients d’avoir une fille exceptionnelle. Après beaucoup de larmes, beaucoup de mots de toute la famille, nous avons du te laisser, pour mieux revenir le lendemain, il était tard, nous ne pouvions retarder plus longtemps l’employé de la chambre funéraire.

Nous sommes rentrés à la maison, je n’étais plus la même, curieusement j’ai pu manger un peu et j’ai compris que je te devais de ne pas renoncer, de découvrir la vérité, que les coupables soient punis, je ne savais pas encore comment mais déjà je me suis sentie chargée d’une mission. Le lendemain c’était la rentrée scolaire pour Manuéla, la 6ème ! Il me fallait être là pour elle aussi, là encore je te dois ce courage. Je me suis présentée devant l’école, je savais que tout le monde savait, il y a eu ceux qui me regardaient à la dérobée, ceux qui ont fait comme si de rien n’était, j’en ai vu certains se tenir éloignés et pleurer, mais il fallait être là pour ta sœur. Nous sommes allés la chercher à midi pour qu’elle ne reste pas à la cantine, nous avons mangé Mac Do dans un parc avec papa, tonton Lionel et tatie Sonia. On aurait pu croire que la vie était normale ! Mais la vie ne sera plus jamais normale pour nous. L’après midi nous t’avons rejointe, nous avons passé plusieurs heures à te parler, tes cousins, toute la famille, les amis et enfin après l’école ta sœur qui a poussé des hurlements… Elle ne pouvait admettre que tu sois dans cette boite, elle était choquée, les psychologues prétendent que cela contribuera à l’aider à faire son deuil, moi je suis sceptique, il faut la calmer lui expliquer que ce n’est pas vraiment une boîte mais juste un lit avec un couvercle. Son parrain, tonton Minh, lui explique : « Léa est sur un joli matelas d’organsa rose et blanc, elle porte ton foulard autour du cou, le collier d’Arnaud dans ses mains, ton joli dessin sur son cœur et tous nos messages d’amour autour d’elle ». Elle semble se calmer, elle semble même rassurée, je lui demande de te parler, elle doute, elle pense que cela ne sert à rien. Alors je lui dis «au cas où…, parle-lui, dis lui ce que tu souhaites lui dire ». Nous sommes restées toutes les deux devant le cercueil et Manuéla a parlé à sa sœur, lui a dit tous les mots d’amour qu’elle avait sur le cœur, lui a dit que sa vie ne serait plus jamais la même… et je savais que mon bout de chou qui ferait ses 11 ans une semaine plus tard avait parfaitement raison. Elle a pris dans ses mains ta photo que nous avions déposée à côté du cercueil, les larmes inondaient son visage, elle t‘a crié son amour, avec des mots et une révolte qui n’étaient plus ceux d’une enfant de 11 ans. Je la serrais dans mes bras ne trouvant pas les mots qui puissent la calmer, car il n’y a rien à dire devant une telle réalité qui vous saute aux yeux, devant un cercueil qui si beau soit-il demeure un cercueil avec un corps d’enfant qui ne demandait qu’à vivre.

Famille et amis sont venus te rendre un dernier hommage, te dire leurs derniers mots, leurs derniers messages d’amour. Je suis restée avec toi jusqu’au bout, jusqu’au moment où il a fallu te quitter. Le lendemain vendredi 4 septembre nous arrivons à la chambre funéraire, on nous attend. Trois corbillards chargés de fleurs sont immobilisés. Papa et moi allons te chercher, t’embrasser avant que ton cercueil ne soit transporté. La police municipale ouvre le cortège, à chaque rond point, à chaque intersection, un policier stoppe la circulation afin que le cortège reste uni. Sur le passage je vois des signes de croix, des saluts militaires… personne n’est insensible à la mort d’un enfant.

Nous arrivons devant l’église de la Gavotte, juste à côte de l’école Sainte Elisabeth où tu as fait ton primaire. On m’a dit qu’il y avait beaucoup de monde, que l’église trop petite n’a pu accueillir tous ceux très nombreux qui sont venus te rendre un dernier hommage, mais moi je n’ai rien vu. J’étais avec toi dans la pensée, mon corps tout entier était avec toi, j’avais l’impression d’être un robot, programmé pour le rôle qu’il devait tenir. L’aumônier de ton Lycée t’a rendu un hommage absolument remarquable, un hommage où l’on ne parlait que de toi, de nous… un hommage où chacun a pu s’exprimer, un hommage à une enfant de 17 ans. Moi j’étais ailleurs, je n’étais pas dans cette église, je ne cessais de fixer ta photo, et là j’ai vu sur ta joue la trace d’une larme de ta sœur, larme qui la veille avait coulé sur cette photo, et moi je l’ai vu cette trace, elle y est encore aujourd’hui. Je me suis exprimée, je t’ai demandé de m’insuffler ta force, je ne parlais qu’à toi, ce message n’était destiné qu’à toi. Je t’ai demandé de m’aider pour la suite, demandé de m’aider à vivre, d’aider ton père et ta sœur… La chanson de Francis Lalane résumera les liens que nous souhaitons établir avec toi. Je suis ailleurs, ailleurs avec toi, je me sens en représentation. Je sais que je ne laisse paraître aucune émotion, il y a trop de monde.

Tu sors de l’église sur une chanson de ton âge, de ton style que tu adorais des Black Eyed Peas, nous te suivons pour t’accompagner jusqu’au cimetière. La cérémonie des derniers adieux fut là encore une épreuve mais par rapport au 11 jours d’attente ce ne fut pas la plus difficile. Tes amis ont déposé dans le caveau des roses blanches. Julie et Guillaume me demandent de déposer la leur dans ta chambre. J’accède bien sûr à leur demande. Leur rose blanche est toujours là près de ta photo, en signe d’amour et d’une amitié sincère.

Nous rentrons à la maison, je me réfugie dans ta chambre, ton père me rejoint nous parlons un peu, nous essayons d’imaginer la suite sans toi. Je décide de rester là dans cette pièce où tu as passé tellement de temps. Ta chambre d’ado avec tous tes petits trucs, tes photos, tes cahiers d’école, tes vêtements laissés en vrac, ton désordre attendrissant. Je décide de rester là, je m’endors sur ton lit. J’attends un signe mais peu être est-ce trop tôt… je m’endors… je suis bien. Je me sens proche de toi… Je me demande si j’ai bien compris, si j’ai bien admis que tu ne seras plus jamais à nos côtés, ma réaction me fait peur, parce qu’à partir de ce moment j’ai décidé de savoir, de faire la lumière, sur les raisons de ce drame… je me suis sentie chargée d’une mission, une mère doit savoir, une mère ne peut accepter que son enfant lui soit arraché, je devais savoir… Et j’ai su très rapidement.

Le 11 septembre après les obsèques d’Orane, les enfants du comité d’entreprise des pompiers de Seine et Marnes sont venus déjeuner à la maison. Nous avons visité ta chambre, regardé tes vidéos. Ils étaient heureux de découvrir ton univers. Je n’ai pas voulu les questionner directement, ils souhaitaient rencontrer Manuéla afin de lui transmettre tous les éloges que tu as fait d’elle, afin de lui faire part de tes derniers mots d’amour pour elle, pour nous. Mais les enfants ont parlé spontanément, de Nassera, de l’ambiance du séjour entre les animateurs, d’un coup de fil pour demander une rallonge financière, et des conditions de la dernière nuit…

J’ai ouvert les yeux, de plus Agnès et Minh ont recueilli beaucoup d’informations sur place qui corroborent les propos des enfants…

J’ai rencontré des animateurs qui ont travaillé pour Cousins d’Amérique et qui m’ont expliqué le fonctionnement…

J’ai été choquée par les condoléances indécentes dans un van rose de la page d’accueil de COUSINS D’AMERIQUE. Choquée par l’envoi de l’enquête de satisfaction.

J’ai été choquée par la tentative de manipulation de Nassera qui a eu l’indécence de nous téléphoner la veille des obsèques de Léa, afin de nous abreuver de mensonges et surtout pour sauver sa peau.

J’ai été choquée par le van bleu de la nouvelle page d’accueil de COUSINS D’AMERIQUE, qui est une preuve d’autosatisfaction insultante alors que deux cercueils d’enfants venaient d’être rapatriés. Alors oui je suis partie en guerre contre Monsieur le Fondateur de TELLIGO – Président de COUSINS d’AMERIQUE. Car il n’a eu de cesse de bafouer ta mémoire, celle d’Orane et de nous blesser, nous parents, de nous blesser avec son marketing déplacé, ses agissements d’homme ambitieux qui va de l’avant, que manifestement deux cercueils ne perturbent pas. Monsieur le Président Fondateur de TELLIGO, Président de Cousins d’Amérique aurait du faire profil bas, mettre le pavillon en berne, mais non il n’a pas su le faire.

Ce site relate comment des enfants perdent la vie lorsque l’argent prend le dessus sur les véritables valeurs. Cette histoire aurait pu avoir d’autres protagonistes, un autre organisme, d’autres enfants. Malheureusement cette histoire est la notre. Je ne cherche plus à me protéger, je veux faire la lumière.

Je me rends sur ta tombe régulièrement, j’arrose les fleurs déposées par la famille, les amis et les anonymes. Je me rends dans ta chambre, où je te parle, où je t’admire, toi mon enfant adorée, mon enfant chérie. Je te sens, je t’entends. Et je me souviens d’une de nos conversations, un jour, une de nos conversations sur la mort. Je t’avais dis que le plus difficile était pour celui qui reste. Tu n’étais pas d’accord et tu m’as répondu «non ! C’est celui qui a perdu la vie qui a tout perdu ! ». Aujourd’hui je dois bien reconnaître que tu avais raison. Mon chagrin, celui de ton père, de ta sœur, de toute la famille ne rachètera jamais tout ce dont tu es privée aujourd’hui, tu as raison c’est bien toi qui as tout perdu, c’est bien toi qui ne vis plus, nous, nous survivons, mais toi, il est vrai tu as tout perdu ou du moins on t’a tout pris.

Alors je l’avoue, lorsque j’entends une adolescente appeler sa mère, lorsque je serre une de tes amies dans mes bras, lorsque j’entre dans le cimetière, lorsque j’entrouvre les volets de ta chambre désormais vide, lorsque je vois les yeux pleins de larmes de ton père, lorsque je perçois la souffrance dans les mots de ta sœur, lorsque j’entends les sanglots quotidiens de ma mère, lorsque je vois les mains d’Agnès qui t‘ont caressée, lorsque j’ouvre ta boîte à souvenirs, avec tes appareils dentaires, tes petits mots pour la fête des mères et la fête des pères, tes dessins d’enfants, lorsque je vois tout cela… mon cœur saigne. Mon combat aujourd’hui est de mettre chaque acteur du drame face à leurs responsabilités… Je suis là pour ça, j’y veillerai, c’est ma mission, mon devoir de mère et je l’assumerai jusqu’au bout. Et enfin après lorsque les sanctions seront tombées, je pourrai peut être commencer mon travail de deuil, me résigner, accepter ta perte si cela est possible. M’effondrer probablement.

Ce blog c’est pour te dire que je t’aime. C’est pour te dire que je suis là pour toi, que je serai toujours là, jusqu’au jour où je viendrai te rejoindre et ce jour là seulement la peine s’atténuera. Aujourd’hui nous t’avons choisi un granit clair dans les tons de rose, pour ta dernière demeure, c’est cruel, c’est inhumain de faire des choix pareils. Alors lorsqu’on me demande si ma haine ne va pas m’empêcher de faire mon deuil, je réponds «qui vous parle de faire votre deuil lorsqu’on vous agresse de campagnes marketing sous forme de vans bariolés, comment pouvez-vous faire votre deuil alors que les responsables de la mort de votre enfant ne sont pas encore confrontés aux conséquences de leurs agissements, lorsqu’ils n’ont pas encore pris conscience de leurs responsabilités dans une série de négligences qui a coûté la vie à Léa et Orane »

Comment pouvez-vous faire votre deuil alors qu’un polytechnicien spécialiste de la bourde ne trouve même pas les mots à la hauteur du drame qui a privé de vie deux enfants ? S’il faut l’aider à prendre conscience, à comprendre que l’argent n’est rien face à deux vies humaines, s’il faut refaire son éducation, s’il faut lui apprendre la juste valeur des choses sur terre, alors je suis toute disposée à le faire… Ensuite nous parlerons de deuil, ensuite nous parlerons de la suite, d’une reconstruction peut-être, mais aujourd’hui, j’ai un rôle de mère et ce n’est pas un coup de fil à 3 h 00 du matin qui changera quoique ce soit. Je suis, je resterai la mère de Léa, une mère a des responsabilités et je ne fais que les assumer… Non je ne pardonne pas, non je ne pardonnerai pas.